Galerie de portraits
On retrouve ma Maman et sa jolie plume... pour mon plus grand plaisir (et j'espère le vôtre !). Un souvenir illustré aujourd'hui par un tableau de mon grand-père (malheureusement, ni ma Maman, ni mon frère, ni moi n'avons hérité de son joli coup de pinceau !!!)
"Dans mon petit village, comme sans doute dans tous les villages, il y avait quelques personnages qui sont restés dans ma mémoire. Je les ai vus avec mes yeux d’enfant parfois admiratifs, parfois effrayés, parfois curieux. Souvent je les connaissais peu, je ne savais rien de leur parcours ni de leur vie dans le village. Les « grandes personnes » ne répondaient pas aux questions indiscrètes des enfants et, d’ailleurs, nous le savions et ne les posions pas ces questions. Je me contentais de regarder ces hommes et ces femmes qui vivaient près de nous mais qui, en même temps, semblaient si différents ; et je m’inventais leur histoire.
Il y avait le « Zèf ». Il vivait seul au bas de la route qui monte à l’église. Jamais je ne l’ai vu sans sa pipe entre les dents. Il se déplaçait en claudiquant à cause de son « pilon ». Il avait une jambe de bois et pour moi, le « Zèf » avait dû être un pirate. Je le regardais avec un mélange de frayeur et de curiosité et jamais je ne lui ai adressé la parole. Je n’ai jamais su si sa jambe de bois était la conséquence d’un accident quelconque ou un avatar de la Grande Guerre. Il n’aimait pas beaucoup les enfants et il se plaisait à nous faire fuir quand nous nous approchions trop près de sa cour.
Puis je n’ai pas oublié la « Mère Louis ». Elle aussi vivait en bas de la route qui va à l’église, mais du côté opposé. Elle était « laveuse ». Chaque semaine, elle venait à la maison s’occuper du linge. Lorsque le linge avait bouilli pendant longtemps dans la lessiveuse, elle sortait chaque pièce fumante à l’aide d’un bâton pour la mettre dans une bassine. Une fois la bassine pleine, elle la chargeait sur une brouette, et s’en allait au lavoir pour rincer. Je revois ses mains rouges et gonflées lorsqu’elle revenait à la maison pour étendre la lessive. Sa maison était une des dernières maisons du village à avoir encore un sol en terre battue. J’étais fascinée lorsque je la voyais balayer avec ce qui ressemblait davantage à un fagot qu’à un balai comme ceux que je voyais chez ma mère. Mais elle avait un magnifique jardin qu’elle cultivait avec soin. Outre les légumes habituels de tous les jardins, on y trouvait une profusion de fleurs parmi lesquelles les roses anciennes et parfumées, les phlox, les pivoines, les grosses marguerites, les « désespoirs du peintre »…..C’est là que je venais faire « mon marché » pour la Fête des Mères. Elle qui n’avait plus d’enfants ( sa fille unique était morte jeune et elle fleurissait sa tombe quotidiennement) , elle était heureuse de m’aider à fabriquer mon bouquet.
Je revois aussi « La Bossue ». Cette pauvre femme contrefaite vivait misérablement au bout du village, rejetée par la plupart des villageois. Son crime ? Après quelques années passées à la ville, Lyon en l’occurrence où j’imagine qu’elle avait été placée comme « bonne à tout faire », elle était revenue au village avec un petit garçon qu’elle tentait d’élever seule et sans moyens. Elle se déplaçait toujours discrètement, souriante, effacée, comme une petite souris, essayant d’être le moins visible possible. Heureusement, il y avait quelques bonnes âmes au village et je crois que ce petit garçon qu’on voyait si peu, qui ne partageait jamais les jeux des autres enfants, a toujours eu de quoi manger.
Enfin, il y avait le personnage illustre, le grand écrivain, la gloire du village. Il habitait le château, juste après le cimetière. Chaque jour, il montait la rue principale à pas lents, aidé de sa canne, l’air absent, perdu dans ses pensées. On le saluait respectueusement. Il répondait d’un petit signe de tête, ou il ne répondait pas ; c’était selon. Il entrait à l’église où il priait longuement la Vierge Marie. Les belles journées d’été, il allait au bord du fleuve cueillir une brassée de « cannes d’or » qu’il déposait aux pieds de celle qu’il vénérait. Il avait souvent des visiteurs célèbres : des écrivains, des acteurs que nous regardions de loin, impressionnés. Il s’appelait Paul Claudel."