Le charivari
Certaines d'entre vous en réclamaient un à corps et cris !!! Un quoi ?? Un nouveau texte de ma Maman... Voici donc vos souhaits exaucés aujourd'hui...
Pierre était veuf ou divorcé ; je n’ai jamais vraiment su. Il vivait avec son jeune fils dans une petite maison au bas du Pré de la Commune. Je n’avais qu’à descendre les escaliers qui conduisaient de la Place au Pré, suivre le petit sentier brun qui cheminait à travers l’herbe, et j’arrivais à la porte de l’atelier de Pierre.
Pierre réparait les bicyclettes. Pendant les années de guerre et les années qui ont suivi, son atelier était florissant. La bicyclette était le moyen de déplacement le plus commode et chacun avait à cœur de conserver la sienne en bon état le plus longtemps possible. Quand je pénétrais dans l’atelier un peu sombre, une odeur particulière me sautait aux narines ; odeur de colle à rustine, de caoutchouc, de graisse…Une odeur dont je me souviens parfaitement bien. Pierre était toujours debout, un outil à la main, devant un vélo suspendu par le guidon et la selle à deux crochets qui tombaient du plafond. J’aimais m’installer près de lui à le regarder travailler.
Un jour, j’ai su qu’il avait ramené Marguerite chez lui. Marguerite venait de la grande ville. Elle ne ressemblait en rien aux femmes du village. Elle s’habillait différemment, avec des tenues colorées et à la mode alors que les villageoises de son âge (quel âge, d’ailleurs ? 45 ans peut-être ?) étaient déjà toutes vouées aux vêtements noirs et souvent informes. Surtout, les cheveux de Marguerite étaient décolorés, comme on disait en ce temps-là !!! Et les bavardages allaient bon train : Quel est son passé ? Est-elle bien sérieuse ? Va-t-elle rester au village ? Si c’est le cas, va-t-elle s’habituer ?…. et, surtout… Pierre va-t-il l’épouser ?
Et bien oui ; Pierre et Marguerite avaient décidé de se marier.
A cette époque, les remariages étaient rares car les divorces, à la campagne, étaient pratiquement inexistants. Les veuves (et les veufs) se résignaient souvent à leur destin ; ils continuaient à vivre auprès des autres membres de la famille. Pour souligner la rareté du fait, peut-être même son incongruité, un remariage était accompagné d’une tradition qui s’appelait chez nous le « charivari ». C’est ainsi que j’ai assisté à « mon » premier charivari à l’occasion du remariage de Pierre et Marguerite
La veille de la cérémonie, en soirée, les voisins et les amis du couple se rassemblèrent devant la maison de Pierre. Ils s’étaient équipés de toutes sortes d’ustensiles destinés à faire du bruit : des couvercles de marmites, des louches, des bidons, des cloches empruntées au bétail… Je me souviens que, sortie de je ne sais où, il y avait même une trompette. Et armés de tout cet attirail ils entamèrent le « charivari », c'est-à-dire qu’ils se mirent à faire le plus de bruit possible en tapant sur les objets métalliques, en secouant les cloches, en soufflant dans la trompette, en poussant des cris….C’était assourdissant ! Le « charivari » se prolongea jusqu’à ce que les futurs mariés acceptent d’apparaître sur le seuil de leur maison. A ce moment-là, ils furent encerclés par les participants et entraînés joyeusement à la salle des fêtes du village où d’autres personnes les attendaient déjà devant des tréteaux chargés de victuailles et de vin….Et c’est dans une folle ambiance de fête que le « charivari » se poursuivit assez tard dans la nuit.