Les femmes seules
Place à la jolie plume de ma Maman aujourd'hui, pour un texte qui m'a beaucoup émue...
3 Août 1914. L’Allemagne déclare la guerre à la France. Les jeunes hommes de notre pays sont mobilisés depuis le 2 Août et doivent partir sur le front. Tout le monde pense que la guerre sera courte et manifeste un patriotisme quasiment sans faille.
Paul et Anna sont jeunes mariés. Anna attend leur premier bébé.La séparation est dure mais ils ont l’espoir d’un retour très proche. Toutes les familles sont sur le quai de la gare pour les dernières recommandations, les derniers baisers. Paul part pour le front avec son jeune frère, jeune marié lui-aussi et ils laissent deux jeunes femmes désemparées et inquiètes.
12 Septembre 1914. La Bataille de la Marne vient d’obliger les Allemands à se replier sur le front de l’Est. Les soldats français sont durement engagés dans les combats. Anna met au monde une petite fille . Son papa n’aura pas de permission pour venir voir son premier enfant. Bien sûr, Anna ne cesse de penser à son jeune mari là-bas, si loin. Les nouvelles sont rares et arrivent toujours avec tellement de retard ! Cette petite-fille, elle l’appellera Paulette , parce que son papa s’appelle Paul. Et Paulette, c’était ma mère…
Les journées passent sans joie si ce n’est le jour où le facteur apporte une de ces lettres tant attendues, une lettre qui redonne de l’espoir, du courage et qui rassure pour quelques heures. Noël arrive, le premier Noël de Paulette, sans son Papa. Elle n’a que quelques mois ; elle ne sait pas encore qu’elle a un Papa.
Printemps 1915. Ce jour-là, il fait beau, on aurait envie d’être heureux , de profiter de ces premières belles journées pleines de promesses. Les deux jeunes épouses, la mère des soldats et leur tante décident qu’elles vont se faire belles et qu’elles vont poser pour une photo à envoyer aux deux hommes à la guerre. Les deux jeunes femmes s’asseyent devant, Paulette sur les genoux d’Anna. Les femmes plus âgées sont debout derrière. Les visages sont graves ; les sourires sont timides.
Cette année-là, Anna a vingt-quatre ans…et on ne lit déjà plus sur ses traits la spontanéité et l’insouciance de la jeunesse.
Des mois s’écoulent encore et, enfin, au début de l’automne 1915, Paul et son frère arrivent en permission. Paul n’a jamais vu sa fille autrement qu’en photo. C’est sur ses deux petites jambes encore mal assurées qu’elle va à la gare chercher ce Papa dont on lui parle si souvent. Et alors, dans le même jardin, au même endroit, on refait la photo que chacun gardera précieusement pendant les nombreux mois de séparation qui vont encore suivre.
En 1916, heureuse suite de cette permission, Paulette a un petit frère qui, comme elle, est né sans la présence de son Papa…Ces années de guerre furent une épreuve très difficile pour ces femmes qui n’étaient pas du tout préparées à assumer seules la vie quotidienne, l’éducation d’un enfant, ces femmes qui ne travaillaient pas, qui étaient entièrement dépendantes de leur époux.
Paul et son frère ont eu de la chance : en 1918, ils sont rentrés sains et saufs de cette guerre qui a endeuillé tant de familles.